L’usufruitier a-t-il la qualité d’associé ?

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La question de la qualité d’associé de l’usufruitier est un enjeu dans l’hypothèse du démembrement de parts sociales ou d’actions.

 

Quels sont les droits de l’usufruitier de titres sociaux ?

Un usufruitier de parts sociales ne dispose pas de la propriété de celles-ci. Peut-il tout de même s’immiscer dans la vie de la société ?

La Cour de cassation a rendu un récent avis sur la question : l’usufruitier n’est pas un associé. Il dispose de droits seulement concernant les actes pouvant avoir une incidence directe sur son droit de jouissance des parts sociales.

 

Qu’est-ce qu’un usufruitier ?

Définition de l’usufruit

L’usufruit, c’est pouvoir disposer et profiter d’une chose dont un autre a la propriété. C’est le « droit de jouir de la chose ».

En droit, pour être propriétaire de quelque chose, il faut avoir le droit d’usus (utiliser la chose), de fructus (percevoir les fruits, par exemple un loyer), et d’abusus (détruire la chose, la vendre).

L’usufruitier est la personne qui dispose uniquement des droits d’usus et de fructus, c’est-à-dire qu’elle peut l’utiliser et en percevoir les fruits ou les revenus. Elle peut jouir de la chose. Elle ne peut notamment pas céder la chose et en disposer comme elle le souhaite.

C’est l’article 578 du Code civil qui nous l’indique :

« L’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance. »

Distinction entre usufruitier et nu-propriétaire

S’il y a un usufruitier, il y a forcément un nu-propriétaire, c’est-à-dire quelqu’un qui dispose du droit de détruire ou vendre la chose, mais qui ne peut pas l’utiliser ou en percevoir les revenus. En matière immobilière, cela signifie pour le nu-propriétaire de ne pas pouvoir résider dans l’immeuble ni percevoir de loyer.

L’usufruitier ne pourra vendre ou détruire qu’avec l’accord du nu-propriétaire.

On appelle le fait de scinder la pleine propriété en nue-propriété (abusus) et usufruit (usus et fructus) le démembrement.

 

Comment devient-on usufruitier de titres sociaux et quel intérêt ?

Le démembrement est utilisé dans différentes situations, mais on le rencontre le plus souvent en matière de succession.

Lors de l’organisation d’une succession, il est souvent intéressant fiscalement et juridiquement que les parents propriétaires procèdent à une donation de leur vivant de la nue-propriété de biens ou titres à leurs enfants, et en conservent l’usufruit. On appelle ce processus la donation-partage.

Au décès des parents, l’usufruit disparaît, et les enfants disposent de la pleine propriété du bien. Cela permet d’éviter de s’acquitter des frais de succession de 60% sur le bien (après abattement de 1594€).

Dans le cas d’une société, le démembrement portera sur des parts sociales ou des actions, que l’on nomme globalement titres sociaux.

La donation-partage est souvent intéressante car outre le régime fiscal avantageux, cela permet aux héritiers d’apprendre et participer au fonctionnement de la société jusqu’à devenir pleinement propriétaires des titres sociaux.

Concrètement, le détenteur de droits sociaux, s’il souhaite les léguer à ses héritiers, va organiser une donation de nue-propriété à ses enfants et conserver l’usufruit jusqu’à son décès.

Cela prend généralement la forme de deux certificats : un certificat d’usufruit et un certificat de nue-propriété.

 

Quels sont les droits sociaux de l’usufruitier ?

L’usufruitier et le nu-propriétaire se divisent un certain nombre de droits.

Tout d’abord, en matière de droits financiers, l’usufruitier dispose d’un droit aux dividendes. Ce sont les « fruits » de l’usufruit. Par suite, seul l’usufruitier dispose d’un droit sur la répartition de ceux-ci.

Cela étant, les droits financiers de l’usufruitier portent uniquement sur les dividendes, sur les « fruits » des titres sociaux. Dès lors que l’argent correspond à une activité du capital social en tant que tel (accroissement du capital, remboursement de dette, bénéfices mis en réserve non libre, etc.), c’est le nu-propriétaire qui y a droit.

Voyons maintenant les droits politiques au sein de la société.

Pour les sociétés de droit commun  :

  • l’usufruitier dispose du droit d’assister et participer aux décisions collectives.
  • L’usufruitier ne dispose pas du droit de vote, c’est le nu-propriétaire qui en dispose. Sauf concernant l’affectation des bénéfices, c’est-à-dire la distribution des dividendes ou le financement de réserves libres par exemple. Dans ce cas, seul l’usufruitier dispose du droit de vote. (art. 1844 du Code civil)

Les règles ci-dessus ne sont pas d’ordre public, et peuvent faire l’objet d’une convention qui partage le droit de vote entre le nu-propriétaire et usufruitier. Les statuts ne peuvent pas s’opposer à cette convention. Il est d’ailleurs impossible d’empêcher statutairement l’usufruitier de voter, sinon il ne peut pas voter pour la répartition des bénéfices (Com. 31 mars 2004, n° 03-16.694).

L’ensemble de ces éléments sont précisés par le nouvel alinéa 3 de l’article 1844 du Code civil (à la suite de la loi n°2019-744 du 19 juillet 2019) :

« Si une part est grevée d’un usufruit, le nu-propriétaire et l’usufruitier ont le droit de participer aux décisions collectives. Le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices, où il est réservé à l’usufruitier. Toutefois, pour les autres décisions, le nu-propriétaire et l’usufruitier peuvent convenir que le droit de vote sera exercé par l’usufruitier. »

Pour les sociétés de capitaux :

L’usufruitier dispose d’un droit à l’information (Code de commerce, art. L. 225-116 et s.).

L’usufruitier dispose du droit de vote et de participation au sein des assemblées générales ordinaires, le nu-propriétaire gardant la titularité de ces droits pour les assemblées générales extraordinaires. Cela aussi peut faire l’objet d’une convention. (Code de commerce, art. L.225-110).

L’usufruitier a-t-il la qualité d’associé au sein de la société ?

Non, l’usufruitier n’a pas qualité d’associé.

 C’est ce que la Cour de cassation a récemment (Cass. com., avis du 1er décembre 2021, n°20-15.164 FS-D) rappelé dans un avis sur la question en précisant l’étendue de ce que l’usufruitier peut faire ou non.

En effet, c’est seulement le nu-propriétaire qui a la qualité d’associé. Notamment parce que c’est le nu-propriétaire qui peut céder ses titres et assume le risque de réalisation des apports, c’est-à-dire qu’il assume que sa responsabilité peut être engagée à hauteur de ses apports (la proportion de sa participation) au sein du capital social.

Quelles conséquences si l’usufruitier n’a pas la qualité d’associé ?

Dans le cas où les statuts stipulent qu’une fonction au sein de la société nécessite la qualité d’associé, seul le nu-propriétaire pourra s’en prévaloir, et jamais l’usufruitier.

L’usufruitier n’a pas la qualité d’associé et ne peut donc exercer l’action sociale ut singuli.

Cependant, la cour précise que l’usufruitier peut solliciter une assemblée générale et même demander la révocation du gérant si cela a une incidence directe sur les droits desquels il dispose exposés précédemment, qui constituent son « droit de jouissance ». Une incidence indirecte ne saurait être suffisante.

Ainsi la Cour de cassation indique précisément :

« (…) la chambre commerciale est d’avis que :

–  1° L’usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d’associé ;

–  2° L’usufruitier de parts sociales peut provoquer une délibération des associés, en application de l’article 39 du décret du 3 juillet 1978, si cette délibération est susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance des parts sociales ;

–  3° L’usufruitier de parts sociales peut provoquer une délibération des associés ayant pour objet la révocation du gérant et la nomination de cogérants, en application de l’article 39 du décret du 3 juillet 1978, si cette délibération est susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance des parts sociales. »

 

Voici un tableau récapitulatif des droits sociaux de l’usufruitier et du nu-propriétaire.

Droits sociauxUsufruitierNu-propriétaire
Société classiqueSociété de capitauxSociété classiqueSociété de capitaux
Droit de voteNon sauf pour répartition des bénéficesOui pour AG

Non pour AG extraordinaire

Oui sauf pour répartition des bénéficesOui pour AG extraordinaire
Participation décisions collectivesOuiOuiOuiOui
Droits financiersDividendes, bénéfices mis en réserve libreDividendes, bénéfices mis en réserve libreActivité du capital social n’étant pas un fruit du capitalActivité du capital social n’étant pas un fruit du capital

 

 

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